31 octobre 2019
Le Décanat s’est attaché ces quatre dernières années à rencontrer tous les Départements de la Faculté de biologie et de médecine, en passant alternativement de la section des sciences fondamentales à la section des sciences cliniques. Les thèmes qui ont été abordés ont été les mêmes: bien comprendre les lignes de recherche, partager les réussites, accepter les échecs, prendre conscience des difficultés, écouter les personnes afin de mieux appréhender les besoins et les attentes.
Cette exploration, qui est parfois aussi une découverte des activités de recherche menées au sein de la Faculté, est un périple magnifique aux frontières des savoirs, un émerveillement constant face à l’enthousiasme des chercheurs et la profondeur de leurs réflexions ; une rencontre avec des femmes et des hommes impliqués dans leur mission.
Ces voyages au sein de la Faculté permettent de se rendre compte à quel degré certains sont investis de leur «sacerdoce» de chercheuse/chercheur, à quel point ils ont la volonté d’être, d’exister dans ce monde ultra-compétitif de la recherche ; tandis que d’autres expérimentent la réalité d’être au service d’une communauté scientifique et de favoriser le développement de l’ensemble plutôt que celui de l’individu. Très peu se contentent d’avoir été, mais aucun n’accepte de ne pas être. Le chercheur de la FBM est une femme ou un homme investi, qui veut partager ses savoirs et être reconnu par ses pairs. Il en va de l’excellence, il en va des ambitions, il en va de la survie de la recherche et donc des individus qui la conduisent et des institutions qui l’abritent.
Être chercheur clinicien ou fondamentaliste, c’est aussi lutter: lutter pour obtenir des financements pérennes, accepter de se battre pour des projets, se bagarrer pour pouvoir disposer des équipements à la pointe de l’évolution technologique. Ces combats pour obtenir des financements sont épuisants et pour beaucoup sont un fil rouge de douleur et de persévérance permettant de vivre et donc d’être.
La concurrence est rude et la vie académique complexe. Ces situations entraînent des modifications des personnalités ou, possiblement, attirent des personnes présélectionnées pour prendre l’uniforme de chercheur. Le costume n’est pas fait sur mesure, il doit s’adapter au gré des aléas de la recherche, des réussites et des échecs.
Les pressions sont très fortes, et c’est dans ce contexte que je souhaite dans ce billet rendre hommage à nos chercheurs. Ce ne sont pas des privilégiés qui peuvent faire ce qu’ils veulent avec l’argent public. Ce sont des gens responsables. Investir dans ces personnes, c’est prendre une assurance vie sur l’avenir.
La seule critique que je pourrais leur adresser est celle que je lierais à la communication et, paradoxalement, à l’usage du vocabulaire et de la langue. Nos chercheurs sont de brillants communicants scientifiques, parfois - souvent même - de très bons communicants pédagogiques (heureusement pour nos étudiants!), rarement (bien qu’il y ait des exceptions) de bons communicants «tout public».
Diffuser de l’information sans s’assurer que le langage est adéquat, sans vérifier que le récepteur l’ait compris, c’est prêcher dans le désert. Certains mots font peur: médecine de précision, médecine personnalisée, organismes génétiquement modifiés, expérimentation animale. D’autres mots sont utilisés sans être bien définis: vulnérabilité, durabilité, réchauffement climatique, traumatisme psychologique, économie, intérêts négatifs… La langue est un instrument magnifique, elle permet de communiquer, d’échanger. Cependant, lorsque la langue et le langage sont galvaudés, lorsque le sens des mots est ambigu, lorsque la part liée à l’interprétation personnelle devient trop importante, la communication perd son sens. L’information, au lieu d’être une traduction fidèle, une mise en forme correcte et aussi peu que possible subjective de la complexité, reste dans le champ du chaos. La langue est bafouée, surinterprétée: tout devient confus et facteur d’incompréhension.
Pour communiquer, il faut soigner son vocabulaire, s’adresser avec des mots qui ont un sens commun, et surtout, réfléchir à ce qui doit être dit, à ce qui peut être dit.
Un exemple de langage utilisé de manière peu précise, paradoxale, est la Loi sur la bioéthique qui est actuellement en débat en France. Le mot bioéthique est complexe, il inclut l’éthique et la vie (bio). Mais rappelons-le, l’éthique doit être en amont du droit. L’éthique, ou la morale en mouvement, ne peut être régie par la Loi. Légiférer sur l’éthique représente le risque de l’enfermer dans un carcan juridique fermé. L’éthique doit rendre possible un débat, même vif, sur le contenu d’une Loi qui, elle, empêche tout débat: la Loi doit être respectée… sans grande possibilité d’interprétation. La Loi est. L’éthique en revanche devient, elle est élastique, change, évolue, se soumet au débat d’idées, fait changer les positions des uns ou conforte les autres dans leurs opinions. Possiblement, cette Loi aurait dû s’appeler Loi d’encadrement des pratiques biomédicales.
Penser les mots, réfléchir à ce qu’ils véhiculent est une responsabilité commune des académiciens. Développer un langage clair, fluide, limpide est une nécessité. Pensons à la Déclaration de Nuremberg et aux efforts linguistiques qui ont été essentiels pour que cette déclaration devienne universelle, compréhensible et qu’elle porte les valeurs de ceux qui l’ont conçue.
Un gros effort doit être fait pour communiquer. En d’autres termes, il faut être ouvert à l’autre pour partager les savoirs et surtout pour fait part de ses interrogations.
Rendons hommage à Nicolas Boileau qui par quelques mots bien choisis résume parfaitement ce que j’ai voulu dire dans ce billet: «Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément».
Et souvenons-nous que l’être humain est un être doué d’intelligence et qu’il est par définition un être communicant.
Jean-Daniel Tissot, Doyen FBM